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Les mains vides
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Genèse 18.1-15 et Luc 10.38-42
L’été est le temps où l’on s’invite, le temps où l’on reçoit et où l’on partage une soirée, un barbecue, un WE, une semaine de Vacances Ensemble…
Si on aime inviter et être invité, on apprécie aussi – parfois – les visites impromptues, non prévues.
On a tous une connaissance qu’on n’a pas vue depuis 7 ans et qui sonne en fin d’après-midi à la porte, de passage qu’il était, sur la route de ses vacances.
En général, on apprécie les visites surprises. En général…
Trois hommes se profilent à l’horizon. Le soleil est écrasant, la lumière aveuglante empêche de distinguer qui sont ces marcheurs qui approchent. Abraham, depuis l’entrée de sa tente, vient se prosterner à leurs pieds, les accueillir, les nourrir, les traiter avec tout le respect qui leur est dû.
Trois hommes. « Seigneur, ne passe pas sans t’arrêter chez moi ». L’Éternel UN passe, et s’arrête.
Marthe tient la maison. Sa sœur Marie est auprès d’elle. Les deux femmes reçoivent une visite. Jésus est en chemin avec ses disciples. Il entre dans le village. Marthe lui ouvre la porte de son foyer. Marie s’assoit à ses pieds. Devant le Seigneur, elle ne se soucie pas que sa sœur soit obligée de faire le travail toute seule. En Jésus, le Seigneur s’arrête chez Marthe. Et c’est Marie qui se met à l’écoute.
Dieu est un visiteur qui se présente chez Marthe, comme chez Abraham. Il vient sous les traits d’une homme. Il vient à notre rencontre, il se profile à l’horizon de nos existences.
Dans le visage de notre prochain, celui que l’on croise ou qui vient à nous, Dieu se révèle dans la venue, la survenue, dans la présence des hommes et des femmes de notre temps. Ceux-là teintent alors nos vies d’une lumière particulière, nouvelle et unique.
Abraham attend, à l’ombre de sa tente. Il attend le moment de déplacer le campement. Il attend que la lumière change. Dieu conduit son existence, il l’a déjà fait, il le refera, alors Abraham attend. Il attend un peu de nouveauté dans son désert minéral. Attendre. Attendre Dieu, tel est l’unique quotidien d’Abraham.
Et c’est sans prévenir que la présence des trois hommes déclenche sur le campement une frénésie débordante :
« Vite, de l’eau, du repos, vite Sara, trois mesures de farine pour des galettes, vite, un veau tendre et bon, vite, du lait fermenté et du lait frais… ! »
Les trois hommes se présentent à Abraham, dans son quotidien, pour le bouleverser. Et y créer une vitalisante accélération. Une promesse est annoncée. Les trois hommes se présentent à Abraham tel qu’il est, comme il est : dans son âge avancé, aux côtés de sa femme, au cœur de son attente. « Vite, cessons d’attendre, et agissons ! »
Rien n’est prêt chez Marthe. Et pourtant, c’est une maison bien tenue. Rien n’est prêt et le Seigneur est entré. « Vite, nettoyons ce coin de la maison qui n’a pas été fait depuis un moment, vite, empressons-nous de ranger à sa place le linge qui traîne depuis un certain temps, vite les petits plats dans les grands, vite, faisons cuire tout cela, vite servons le tout correctement, vite. Vite, le Seigneur est là… ! »
Marthe est préoccupée de tout. Marthe s’occupe de tout : c’est son quotidien et son caractère. Et Marie qui s’assoit, et Marie qui écoute : c’est sa nature et son tempérament. « Vite, cessons d’agir, écoutons ! »
Le visiteur se présente à Marthe comme à Marie avec la même considération. Jésus se présent à elles comme elles sont. Jésus s’adresse autant à Marthe qu’à Marie : « Une seule chose est nécessaire ! »
Marthe, tu t’agites en tous sens alors qu’UNE seule chose est nécessaire : observe donc Marie qui, dans son écoute, a choisi une seule chose et pas plus.
Aucun jugement véhiculé par ces mots. Il ne s’agit pas de savoir de Marthe ou de Marie qui a tort ou qui a raison. Il de s’agit pas pour Marthe d’avoir à imiter Marie dans son écoute passive, ou de vouloir dénigrer son activité débordant de bonne volonté.
Jésus se contente de se présenter dans le quotidien et dans la nature même de ces deux femmes. Il se présente à elles comme elles sont, là où elles sont : au dépourvu.
Dieu est un visiteur qui se présente à l’homme à l’improviste, c’est à dire tel qu’il est, là où il est… au dépourvu. Au cœur de l’attente engourdie (Abraham), au cœur de l’incrédulité ahurie (Sara), au cœur de l’hyperactivité (Marthe), ou au cœur de l’écoute attentive et sensible (Marie), Dieu se dit à nous : Dieu est un visiteur qui débarque à l’improviste.
Pas pour resquiller, pas pour en profiter, Dieu n’est pas un pique-assiette. Lorsqu’il vient, ses mains sont vides d’être disponibles, prêtes à accueillir les récits, les déceptions, les échecs, les amertumes. Ses mains sont vides pour prendre et pour soulager. Pour accueillir et pour calmer. Ses mains ne sont jamais encombrées. Dieu n’a pas peur de venir visiter les failles les moins hospitalières de nos vies.
Là où c’est le plus sombre, là où c’est le moins admirable, là où c’est le moins aimable, là où c’est le moins attirant.
Dieu est un visiteur qui se présente à celui qui n’attend rien, à celui qui n’attend plus rien. Il vient vers lui les mains vides, pour accueillir, et se tenir présent, tout simplement.
Alors, devant la promesse inaudible (vide de logique et de sens) Sara rit : « Un fils ? Mais il n’est plus temps ! Le désir est fané, l’âge de procréer est passé, Sara est trop vieille… »
La main vide de preuve de Dieu n’est pas vide de promesse.
Vide de tout logique humaine, oui, vide de tout fatalisme, oui, vide de toute histoire écrite et déterminée à l’avance, oui…
Mais pas vide d’un lendemain possible, où tout se rêve à écrire. Ces mains vides et ouvertes de Dieu invitent à saisir de nos mains l’existence telle qu’elle vient.
En Jésus, chez Marthe aussi Dieu se tient les mains vides. L’accueil qu’elles ouvrent permettent à Marie de s’y installer, en toute simplicité et en toute confiance, libérée du souci du trop faire, du bien faire, ou du tout faire.
Sara, Abraham, Marie, Marthe ont reçu ce jour-là la visite impromptue d’un Dieu qui a débarqué chez eux, chez elles… les mains vides.
Ma sœur, mon frère : prends note dès à présent dans ton tableau des réservations – même si je n’ai aucune date à te communiquer – : Dieu est un visiteur qui débarque chez toi. Peut-être demain. Peut-être ce soir ou… dès maintenant ! à l’improviste. Et les mains vides. N’aie crainte, tu apprendras à le reconnaître.
Dieu t’offre, comme à Sara, de rire. Rire et découvrir en Lui le Dieu du déraisonnable et de la liberté, le Dieu qui te prend au détour de toutes tes attentes. Il t’offre, comme à Marie, la joie de choisir la bonne part, et d’en vivre aujourd’hui. AMEN
Loïc de Putter
Angers, le dimanche 17 juillet 2022