Le texte de la Pentecôte nous raconte ce qu’on appelle en langage théologique une théophanie, c’est à dire un moment particulier où Dieu se révèle de façon proche. Il y en a d’autres dans la Bible, par exemple Moïse au Sinaï, ou le prophète Elie dans sa grotte.
Ici on trouve les disciples réunis tous ensemble assis dans un lieu clos. Leur maître Jésus est remonté au ciel, les laissant désemparés, orphelins et assis sans énergie. Alors ils resserrent les rangs pour trouver un peu de réconfort. C’est alors qu’il se passe quelque chose d’inattendu, de puissant. Le récit utilise, pour raconter une expérience hors norme indicible, des mots comme bruit, souffle violent faisant écho à la révélation de Dieu sur le mont Sinaï. Une autre image est celle des langues de feu. Cette image est bien adaptée pour dire ce qui se passe: on va parler de langage et le feu est le symbole de la présence de Dieu comme par exemple dans le récit de Moïse et le buisson qui brûle sans se consumer. Ce qui est intéressant avec l’image des langues de feu, c’est que l’expérience est à la fois collective et personnelle.
Cette expérience est telle qu’elle ne va passer inaperçue auprès des gens qui sont à côté et on va retrouver les 11 apôtres debout maintenant et faisant face dehors à une foule de 3000 personnes venues du monde entier connu, prête à écouter l’apôtre Pierre.
Voilà un des premiers effets concrets du don de l’Esprit Saint: faire se lever et sortir les disciples et les amener à témoigner de Jésus au monde entier.
Intéressons-nous maintenant au discours de Pierre.
La foule d’étrangers devant laquelle Pierre va s’exprimer vient de tout le pourtour méditerranéen et même au-delà, Mésopotamie, Turquie actuelle, Grèce, Afrique du Nord, Egypte.
A partir du verset 14, l’apôtre Pierre se lève et prononce un discours. Et là, tout le monde a l’air de le comprendre, au point même de se convertir.
Et là je me suis posé cette question: « dans quelle langue Pierre a- t-il fait son discours ? »
L’araméen ?
C’est possible car c’était la langue locale, celle de Pierre, et aussi de Jésus.
Le bémol que je ferai sur cette hypothèse, c’est que le verset 37 nous laisse penser que tout le monde avait compris ce que disait Pierre. Or, en dehors d’Israël, la majorité des Juifs ne parlaient plus ni hébreu ni araméen, langue proche de l’hébreu. Au point que, 200 ans environ avant la naissance de Jésus, il avait fallu traduire la Torah en grec pour que les Juifs de la
diaspora puissent la lire dans les synagogues. Cette traduction grecque célèbre s’appelle la Septante, Septante car la tradition dit que 70 sages auraient participé à la traduction.
Mais pourquoi une traduction en grec me direz-vous ? Parce que dans le monde gréco romain antique, tout le monde parlait grec, un grec parlé et simplifié, que l’on appelle le grec de la Koiné, et ce en plus de la langue locale, un peu comme nous avec l’anglais. Le grec, c’était la langue des échanges de toutes sortes.
Le Nouveau Testament n’a-t-il d’ailleurs pas été écrit en grec pour s’adresser à tous? Et toutes les citations de l’Ancien Testament faites dans le Nouveau Testament sont exactement celles de la Septante. La Septante écrite en grec était donc un texte très répandu.
Revenons à Pierre. Le texte ne précise pas dans quelle langue il s’exprimait mais personnellement je pencherai pour le grec car le texte ne dit pas que l’Esprit Saint faisait la traduction en simultané pendant le discours de Pierre. Cela reste bien sûr une hypothèse. Araméen ou grec, au fond peu importe. Ce qui compte, c’est que tout le monde avait l’air de comprendre Pierre. D’autant plus que, même si la langue qu’utilise Pierre n’était pas forcément familière à beaucoup de personnes, son discours était basé sur une culture commune. En effet, il cite le prophète Joël, il parle du roi David, connus des Juifs et des convertis au Judaïsme majoritairement présents.
Mais si tous ces étrangers pouvaient comprendre Pierre, alors pourquoi le miracle des langues diverses avec lequel commence le texte?
La clé se trouve peut-être au verset 8 : « Comment entendons-nous ces hommes parler chacun dans notre propre langue maternelle? » Assorti du verset 11 : « nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu ».
Entendre parler dans une langue étrangère que l’on comprend permet la communication, mais l’utilisation de notre langue maternelle permet une compréhension plus fine, et surtout cela touche beaucoup plus facilement notre affect, nos émotions,
nos ancrages familiaux et culturels. Cela nous atteint très profondément. Et ce que ces gens comprennent dans leurs langues maternelles, ce sont les merveilles de Dieu. Pas un discours théologique, mais ils ressentent un émerveillement profond.
C’est pour moi un des sens important de ce texte. Le miracle de l’Esprit Saint, c’est de traduire les mots que nous prononçons quand nous témoignons, dans la langue, dans la compréhension intime de nos interlocuteurs. Seul l’Esprit Saint peut faire cela. Au travers des mots prononcés, l’Esprit se glisse pour permettre aux autres d’entendre les merveilles de Dieu dans leur propre langue, dans leur monde personnel.
N’est-ce pas ce qui nous arrive quand nous lisons les Evangiles? Ces textes ont été écrits en grec, dans une langue qui n’est pas la nôtre, heureusement avec des traductions, et surtout dans une culture très éloignée de la nôtre, vieille de 2000 ans. Et pourtant, un jour, grâce au travail de l’Esprit Saint, ce texte nous a touché au cœur, nous a rejoint dans notre vie. Sinon nous ne serions pas là ce matin.
Revenons au texte des Actes. Il joue sur deux tableaux :
– Les auditeurs ont été bouleversés en entendant « parler des merveilles de Dieu » dans leur langue maternelle.
– Beaucoup ont été convaincus par le discours de Pierre, compris par tous et s’appuyant sur une culture juive commune.
Aujourd’hui, avec quels mots témoignons-nous à nos contemporains des merveilles de Dieu ?
Nous avons en général une langue commune : le français. Mais beaucoup ne connaissent plus le langage de la foi chrétienne. Ils n’en ont plus le vocabulaire ni les concepts, n’ayant pour la plupart pas été catéchisés depuis l’enfance. D’autres qui vivent ici ont des origines étrangères avec des cultures variées sur des fonds religieux parfois très lointains du nôtre.
Comment alors « parler des merveilles de Dieu » à chacun dans leur « propre langue » ? Comment témoigner auprès d’eux avec des mots qui fassent sens pour eux ?
Sur quelle culture commune pouvons-nous nous appuyer pour leur parler de Jésus, comme Pierre l’a fait ?
C’est un véritable défi pour les chrétiens d’aujourd’hui. Il nous faut donc compter sur un véritable souffle de Pentecôte.
Nous sommes dans une situation quelque peu inversée par rapport au jour de la Pentecôte. A l’époque, ils ne parlaient pas la même langue, mais avaient une culture juive commune. Aujourd’hui c’est l’inverse: nous avons une langue commune avec nos concitoyens mais nous n’avons plus de culture religieuse commune. Lors des derniers synodes régionaux, toutes les régions ont remonté la même constatation faite par leurs églises locales : il arrive dans nos églises des personnes nouvelles que l’on pourrait dire « touchées au cœur par l’Evangile » mais sans culture religieuse chrétienne et encore moins protestante. La demande de formation catéchétique pour adultes est forte et le conseil national a entendu la demande. L’enjeu est important et nous devons y porter notre attention. Pour pouvoir nous comprendre au sein même de l’église entre protestants de culture et les nouveaux arrivants, il est important de veiller à créer un langage commun et une culture commune.
Alors, en ce temps de Pentecôte, laissons souffler l’Esprit-Saint, levons-nous, sortons et témoignons de l’évangile avec nos propres mots. Formons une église de témoins comme l’a demandé le synode national dimanche dernier, en étant conscients des limites de nos mots mais confiants que l’Esprit-Saint saura utiliser ces mots-là, limités certes mais sur lesquels il s’appuiera pour toucher chacun de nos contemporains, dans sa propre langue maternelle intime et dans sa propre culture. Amen.
Françoise GIFFARD, Prédicatrice.